Pour une culture scientifique
Texte d’Albert Varier*, extrait du VEN n° 491, dossier L’accès aux formes culturelles.

Albert Varier ayant répondu par écrit à nos questions, nous n’intégrons pas son texte à la synthèse que nous donnons des interviews et préférons l’utiliser intégralement pour introduire les extraits d’articles et d’ouvrages qu’il a proposés.


Ven - Être cultivé, c’est quoi ?
Pour moi, être cultivé c’est être suffisamment équipé pour s’y retrouver dans le monde, avoir le sentiment que le monde est intelligible, le monde dans tous ses aspects : la nature, les hommes, la société, les arts, la science... Ça peut paraître une ambition démesurée mais on peut dire deux choses. La première c’est que la culture de chacun se construit tout au long de sa vie. On a du temps ! La seconde c’est que, sur chaque domaine où l’on n’est pas spécialiste, on n’a pas besoin d’accumuler des connaissances de détail. Ce qu’il faut, c’est posséder quelques savoirs de base et quelques « savoirs organisateurs » comme dit Edgar Morin, qui permettent de comprendre l’essentiel, qu’il s’agisse des lois de la nature, de la démarche des créateurs ou des comportements individuels...
Ce que je dis, considère la culture sous l’angle individuel. Je pense effectivement que la culture est vécue par chacun, une culture qui est le fruit de son histoire personnelle, de son environnement (culturel !), de son activité, notamment de son activité de réflexion. Pas de culture sans réflexion personnelle.

Ven - Quel est le lien entre culture et formation ?
Les deux me paraissent évidemment liées, à condition que l’ambition de la formation intègre la formation de l’esprit et ne se borne pas comme c’est trop souvent le cas à ce que l’on appelle la « transmission des connaissances ».

Olivier Reboul, dans son livre Qu’est ce qu’apprendre ?, nous aide à y voir plus clair. Il distingue :
- Le niveau de l’information (j’apprends que...), peu intégrée à la personne et qui peut se stocker ailleurs que dans la mémoire humaine. Et pourtant, combien d’heures sont passées à l’école à emmagasiner des « connaissances » qui ne sont que des informations.
- Le niveau des savoir-faire (j’apprends à...) qui suppose des situations spécifiques d’apprentissage (notamment la répétition) et qui devrait concerner aussi l’usage des outils intellectuels, ce que le ministère de l’Éducation nationale appelle les « compétences » (observer, analyser, faire des hypothèses, etc.) Le niveau des savoir-faire, souvent négligé, est fondamental parce qu’il assoit l’activité intellectuelle sur des situations réelles, sur la complexité et la richesse sensorielle (les sens, les odeurs...) de la réalité.
- Le niveau des savoirs, qui correspond à la compréhension du phénomène, qui aboutit à la construction de concepts, qui permet de s’adapter aux variations de la situation. C’est le résultat d’une maturation de la pensée. Cela demande du temps.
La personne qui, sur un domaine, possède des informations, des savoirs, mais aussi des savoir-faire (pas de vrai savoir sans savoir-faire, c’est-à-dire sans activité) possède ce que Reboul appelle la compétence. On pourrait dire une culture.

Ven - Et la culture scientifique ?
On dit d’habitude « scientifique et technique » comme si l’expression était devenue un seul mot. La liaison est intéressante car elle met - involontairement - l’accent sur la base concrète, pratique, de la véritable activité scientifique. Les Ceméa qui œuvrent pour une « alphabétisation scientifique » de l’ensemble de la population, le font en proposant des activités de découverte technique et scientifique.
Bien sûr, on ne peut se dire cultivé aujourd’hui, si l’on n’a pas un minimum de connaissances de ce qu’est la science actuelle, non seulement de ses résultats (c’est ce qui est diffusé vers le public) mais aussi de ses démarches et de son rôle social, économique, politique. Des institutions, des personnels s’occupent de diffuser la culture scientifique et technique, ajoutant leur action à celle de l’école. Reprenant l’analyse faite plus haut, on constate que, presque toujours, ce qui est diffusé vers le grand public, sont des informations sur le résultat de la science, donnant quelque fois à celle-ci - à l’encontre du but recherché - un aspect magique.Après avoir rendu hommage aux quelques actions qui visent à former l’esprit scientifique (l’action de certains enseignants, de certaines associations, des Exposciences de jeunes...), il faut dire que presque tout est à inventer pour une vraie culture scientifique de masse, permettant à tout un chacun, de comprendre la démarche de la science, ses limites, sur utilisation, son histoire.
Quelles « connaissances organisatrices » faut-il diffuser ? Comment s’y prendre ? Voilà un vrai problème de notre temps.

* Albert Varier, responsable national du groupe Activités de découvertes scientifiques et techniques.


31/08/1999

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