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On croirait entendre les récriminations contre les romanichels émises dans
les campagnes au XIXe siècle. Parfois aussi en notre début de XXIe, et pas
que dans les campagnes, envers les « gens du voyage » comme on dit
aujourd’hui en langue politiquement correcte. Ce sont toujours les mêmes
mots, les mêmes peurs, les mêmes incompréhensions à l’égard de ceux
venus d’ailleurs, pas comme nous, auxquels on ne comprend rien et qui
font peur.
Comme si on n’avait pas assez à faire avec nos pauvres à nous, nos immigrés
à nous !
Voici une misère de plus, qui déferle sur l’Occident repu. Les misères précédentes,
les nôtres ou celles venues d’ailleurs, on avait eu le temps de
tenter de les comprendre, on saisissait quelques fils qui laissaient penser
à des bribes d’explications, puis on les tissait ensemble. Là, c’est brutal,
massif, personne ne comprend ce qu’ils disent, et on se prend de plein
fouet les fonctionnements opaques d’une culture méconnue et les solutions
sauvages de tout humain acculé quand il ne croit plus qu’en lui.
Scolariser les enfants ? Ils sont rejetés, frappés par d’autres enfants dans
les écoles d’accueil, racistes envers ceux encore plus faibles qu’eux. Ça
rassure de ne plus être en bas de l’échelle. Et dans quelles classes ? Dans
une ville de banlieue parisienne, il faudrait ouvrir deux classes de plus
dans un groupe scolaire. Avec quelle garantie qu’ils y viennent et surtout
qu’ils y restent, alors qu’en travaillant ils contribuent à la survie familiale
et que cela est profondément culturel pour leurs parents ?
Imaginer des camions et des bus pour enseigner sur place, comme cela
se fait – parfois – pour les Gens du voyage, mais à quoi pensez-vous ?
Leur proposer des logements ? Ceux qui veulent bien en parler demandent
à être logés ensemble, en famille élargie comme on dit chez nous,
et à côté d’autres de leurs communautés. Histoire connue, mais très mal
perçue dans notre pays qui fonctionne encore au mythe intégratif.
Les autoriser à travailler comme salariés, officiellement ? Mais ils vont
prendre le travail de nos pauvres, et puis sur quels emplois alors que la
plupart n’ont pas de qualifications professionnelles ?
Alors on les expulse des terrains où ils se sont posés, et ils partent plus
loin reconstruire de nouveaux campements. Notons au passage qu’au
XXIe siècle on ne dit plus « bidonville » mais « campement », c’est moins
pire, non ? Leurs expulsions successives les marginalisent encore plus,
et rendent impossibles les amorces de travail humanitaire et social engagées
avec eux ? Certes, mais ils seraient tellement mieux ailleurs !
Moi, j’aime bien les Roms pour la pagaille qu’ils sont bien involontairement
en train de mettre dans les représentations sociales, et dans les
conceptions et les pratiques professionnelles du social et de la sécurité
publique. J’aime bien les Roms parce que j’aime bien tous les marginaux
des systèmes, tous les pseudo-ingérables qui, si on veut bien y réfléchir
un peu, interpellent les habitudes prises, les pratiques protocolisées, les
réponses simplistes, qu’elles soient humanistes, policières ou administratives.
J’aime bien les Roms, ils bouleversent toutes nos évidences parfois bien
simplistes, non interrogées, qu’elles soient humanistes, technocratiques,
sociales ou sécuritaires. Et qu’il reste alors à travailler en prise directe avec
le réel, la vraie vie, en interrogeant nos certitudes confortables.
FRANÇOIS CHOBEAUX