L’adolescence, c’est bien connu, c’est une crise. Une crise affective et sociale dont la
plupart sortent grandis ; adultes, dit-on. Cette période de transition n’est pas
toujours simple à vivre dans une société qu’on dit elle-même en crise, et qui fait de
l’adolescence et de la jeunesse un idéal. Adolescent en crise, ou société en crise ?
Pour certains, cela se passe mal, parfois très mal, avec la réactivation de difficultés
anciennes, ou la recherche extrême de limites. Ce dossier parle de ceux-là, aux
conduites psychologiques et sociales qui inquiètent tant.
Que faire avec eux : éducation ou redressement ? Thérapie ou camisole chimique ?
Classifications définitives, ou attentions apportées aux transformations toujours
possibles ? Qui travaille, et comment, avec ces adolescents-là ? À la recherche des
pratiques inventives…
Dossier coordonné par François Chobeaux et Nahima Laieb
Voir le sommaire et commander la revue VST n° 119.
Il y aurait donc des ados qui vont bien ?
85%, nous disent les grandes enquêtes de
santé publique. Voici alors un dossier sur les
autres, les 15 %.
Mais au fait, et ces 85% ? Vont-ils vraiment
bien-bien, ou juste bien couci-couça ? Et si,
pour reprendre Winnicott évoqué dans ce
dossier, nous changions la focale en regardant
ces 85 % comme ceux qui vont simplement,
banalement, suffisamment,
normalement bien, ou tout aussi normalement
et banalement mal ? Parce que,
soyons clairs, l’adolescence n’est pas un long
fleuve tranquille, et, sans évoquer ceux qui
vont vraiment, objectivement, très mal,
nombre des adolescents de la normalité sont
secoués par ce qui leur arrive même si ce
remue-méninges se fait en silence. Et nous
savons également qu’un silence profond,
que l’apparence d’une normalité enfantine
qui se prolonge, à la plus grande satisfaction
des adultes proches, peuvent cacher un
intérieur en fusion générateur de futures
possibles explosions ravageuses. « Adolescences
en difficulté » nous dit David Le
Breton, qui ouvre ce dossier du point de vue
de l’anthropologue, en nous suggérant de
ne pas trop rapidement totalement différencier
les 85 % des 15 %. Dans le texte
suivant, Lin Grimaud va dans le même sens
en montrant comment la psychanalyse
peut aider des adolescents à construire ce
passage complexe vers l’âge adulte.
Maintenant, voyons pour les 15 %. Ils
arrivent dans le bureau de Marie-Pierre Hourcade, juge des enfants.
Que se passet-
il dans ces « audiences de cabinet »,
actes de justice rendus dans le bureau du
juge ? Et une fois les décisions de protection
prises, administratives ou judiciaires,
quelles suites concrètes ? Émilie Potin
observe ce qui se passe ensuite durant et
dans les placements, et en montre les
réussites et la fabrique des échecs. Il y a aussi
les ingérables, ces ados et ces jeunes
adultes de la petite délinquance urbaine et
des provocations permanentes, avec parmi
eux les enfants des immigrations d’Afrique
du Nord et du Sahel. Sujet politiquement
et idéologiquement sensible… Jean-Claude
Sommaire pose les questions des sentiments
d’appartenance ethnique, des impossibles
transferts de pratiques éducatives culturelles,
des fonctions de l’islam, et du nécessaire travail
avec les communautés, avec les groupes
migrants aux identités communautaires, culturelles
et religieuses fortes.
Parlons ensuite des dispositifs d’accompagnement
et de soutien. Voici près de dix ans
que les maisons des adolescents ont été
créées, espaces de partages, d’actions en
réseaux, faisant soutien à des ados plus ou
moins perdus en eux-mêmes et dans les
maquis institutionnels. Patrick Cottin en
décrit la genèse et la richesse, Emmanuelle
Granier en montre un fonctionnement
possible avec des ados en chair et en
os. Dispositif toujours, articulé à ce que sont
les ados d’aujourd’hui, Gaï (on pardonnera
le pseudonyme) présente ce qu’a été localement une action possible avant que les
normalités institutionnelles ne sonnent sa
fermeture. Et il nous interroge, au passage,
sur la façon dont notre société agit pour
rendre l’ado sinon fou, du moins complètement
perdu.
Il fallait également parler de la clinique éducative
et thérapeutique, conduite au plus
près des jeunes, déjà abordée par Emmanuelle
Granier et par Gaï. Voici une pratique
en hôpital de jour de pédopsychiatrie avec
Serge Klopp, histoire de paires de baffes
heureusement retenues pour le plus grand
bien du gamin. Voici une approche par la
médiation artistique en IME (Institut médicoéducatif)
avec Catherine Le Badezet. Voici
l’accompagnement des voix d’un ado en
SESSAD (Services d’éducation et de soins spécialisés
à domicile) par Gaëlle Légo.
Nous fermons ce dossier par un retour sur
les dispositifs et sur la clinique, quand ça ne
va vraiment plus et que l’enfermement
contraint est là, avec Julie Vanhalst qui
montre que « même » en CEF (Centre éducatif
fermé), « même » avec la prison, on
peut travailler dans l’intérêt de ces ados-là.
Il est des longs fleuves pas tranquilles du
tout, qu’il est passionnant de parcourir avec
ces étranges voyageurs à qui apprendre la
maîtrise de l’embarcation, vecteur de plaisir
dans le franchissement des rapides…
FRANÇOIS CHOBEAUX
Responsable du pôle Jeunesse des CEMÉA.
Sociologue, travailleur social.
Rédacteur en chef de la revue Vie Sociale et traitements.
NAHIMA LAIEB
Responsable du secteur Travail social-Santé
mentale des CEMÉA.
Formatrice-chercheuse à la Protection judiciaire
de la jeunesse.
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