Avant Propos
Former pour transformer les pratiques pédagogiques fait donc partie des ambitions
fondatrices de notre mouvement. En 1936, quand elle parle des motivations qui donneront
naissance aux Ceméa, Gisèle de Failly dit à propos des colonies de vacances : « Et puis
nos surveillantes ne savaient rien, n’avaient aucune idée. Une seule savait un peu faire
chanter et jouer les enfants. Si on pouvait les préparer à ce travail, les informer… alors là,
ce serait formidable ! Et si l’on s’adressait à des enseignants, à des instituteurs, alors
on transformerait l’école. » Les enjeux sont posés !
1936. Jean Zay est alors ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts. Une des caractéristiques
du système éducatif qu’il déplorait le plus était celle qui occasionnait
la perte, pour la République, « de sujets précieux, travailleurs et “doués“, qui, faute d’argent,
ne pouvaient accéder à des postes où ils auraient pu donner le meilleur d’eux-mêmes ».
Son grand projet de réforme du système éducatif partait de la conviction que la vertu,
les capacités intellectuelles n’étaient pas l’apanage des classes aisées, que la société avait
tout à gagner à accorder le maximum de chances à tous, ainsi qu’à former au mieux le plus
grand nombre. Il faut aussi replacer son action dans celle du gouvernement du Front
populaire, qui avait pour intention d’étendre jusqu’aux « classes laborieuses » une vie bien
meilleure. Pour Jean Zay, cela passait par la culture, l’instruction et les loisirs (les « congés
payés »). C’est aussi Jean Zay qui arrêtera les procédures engagées visant alors à supprimer
l’école du Pioulier de Célestin Freinet.
Quand l’idée d’une formation des surveillants de colonies de vacances impulsée par
Gisèle de Failly, soutenue par Léo Lagrange (secrétaire d’État du ministre de la Santé) et
Henri Seillier (ministre de la Santé), arrive à Jean Zay, il signe une circulaire adressée
aux inspecteurs d’Académie et aux directeurs d’École normale leur ordonnant d’accueillir
avec bienveillance les demandes qui leur seraient adressées par les instituteurs pour
participer au premier « centre d’entraînement pour les surveillants de colonies de vacances
à Beaurecueil du 25 mars au 2 avril 1937 ».
Dans cette rencontre entre un ministre de l’Éducation visionnaire et une militante de
l’Éducation nouvelle nous reconnaissons nos racines. La convergence des valeurs, la force
des convictions, la réussite de ce premier « stage » donneront naissance aux Ceméa en
1944. À la veille d’un congrès national tourné vers notre devenir, il est bon de nous rappeler
d’où nous venons et à qui nous le devons.
Préface
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Préface : la pédagogie jean Zay |
Ministre du Front populaire, Jean Zay entendait rendre plus démocratique notre
système éducatif. C’était l’ambition affichée par le projet de réforme qu’il a présenté
en mars 1937. On en connaît les grandes lignes : aux deux ordres parallèles destinés
respectivement à la bourgeoisie et au peuple, il substituait une organisation en étapes
successives, avec un premier degré fusionnant les petites classes du secondaire et
les écoles primaires, suivi d’un second degré unissant les classes et écoles primaires
supérieures aux établissements secondaires, lycées et collèges. Au seuil de ce second
degré, une classe de sixième d’orientation devait permettre d’identifier les goûts et les
aptitudes des élèves pour les diriger vers la filière classique, moderne ou technique qui
leur conviendrait le mieux.
Comme les réformateurs de son époque, lorsque les statistiques
scolaires étaient rudimentaires et la sociologie dans l’enfance, Jean Zay attribuait en effet
les inégalités scolaires aux aptitudes des élèves, sans voir le rôle du milieu social dans
leur construction. Pour lui, une école fondée sur le mérite et les aptitudes cessait d’être
une école de classe. Dès lors que l’orientation se ferait sur des critères objectifs, et non
sur les seuls choix des familles, les filières « nobles » du secondaire ne seraient plus
réservées aux héritiers et à quelques boursiers, mais elles s’ouvriraient aux enfants du
peuple. La République instituerait ainsi l’égalité des chances devant l’école. Cette réforme a fini par se réaliser, dans un contexte très différent, et la démocratisation
de l’enseignement a certes progressé, mais pour de toutes autres raisons : la
prolongation massive des scolarités a de fait élevé le niveau de formation de l’ensemble
de la population et réduit l’écart relatif entre les milieux sociaux. Mais ni la gratuité du
secondaire, décidée en 1930, ni les réformes de structure, préconisées par Jean Zay et
réalisées dans les années 1960, ne sont parvenues à ouvrir véritablement les filières les
plus prestigieuses aux élèves issus des milieux dits « défavorisés ». Cinquante ans plus
tard, les enquêtes PISA démontrent au contraire que les inégalités se creusent au sein
de notre système éducatif et en font l’un des moins démocratiques d’Europe. L’explication de ce qu’il faut bien appeler un échec tient à deux facteurs d’ailleurs liés.
En premier lieu, la gestion des collèges et lycées a, sauf exceptions remarquables,
privilégié les élèves favorisés. Un exemple spectaculaire en est le naufrage rapide de
la pédagogie de soutien qui était pour René Haby le complément nécessaire des classes
hétérogènes, mais il en est beaucoup d’autres, en particulier la multiplication des
options. S’occuper vraiment des mauvais élèves n’est guère gratifiant : leurs parents ne
harcèlent pas les chefs d’établissements et les professeurs ne se battent pas pour avoir
les mauvaises classes. C’est triste à dire, mais c’est la logique du système, et il faudrait
une volonté rare pour la retourner. Le second facteur est l’attachement des professeurs À cette condamnation du cours magistral répond la création des activités dirigées,
auxquelles trois heures hebdomadaires sont dévolues dans le premier degré, mais Jean Zay
ne va pas jusqu’à proposer de fonder tout l’enseignement sur cette démarche. « Nous serons
assez loin des formules qui font tout reposer sur le libre choix de l’enfant. » Il approuve
certes que l’on parte des intérêts des élèves et il souhaite que les maîtres les suscitent mais
l’essentiel reste le travail des élèves, quels que soient les moyens employés pour l’organiser.
« On ne possède effectivement que ce qu’on met en oeuvre. De là l’importance des exercices
dans une pédagogie active... » Ce principe de bon sens oblige à prendre en compte la diversité
des intérêts et des niveaux ; aussi Jean Zay est-il conduit à préconiser la constitution
de petites équipes d’élèves qui constitueraient autant de « centres de travail collectif ». Bien d’autres traits de cette pédagogie mériteraient d’être mis en valeur. On retiendra
seulement, pour conclure, son ouverture, sa largeur d’esprit. Rien de ce qui est humain ne
lui est étranger. Il veut que l’école ne laisse en jachère aucun domaine : il développe
l’éducation physique et sportive, comme l’enseignement artistique ou les travaux manuels.
L’intelligence, dont il a le culte, ne se réduit pas à celle des lettres et des sciences : c’est
une compréhension du monde, comme des situations et des comportements individuels
ou sociaux. Aussi l’école est-elle pour lui une institution éducative au sens plein et entier :
elle forme le caractère et la volonté, aussi bien que le civisme. C’est une école de moralité,
« sans que le professeur se mêle de moraliser », parce qu’elle apprend « la nécessité indispensable
du travail, non seulement du travail attrayant et aisé, mais du travail austère et
pénible. » On retrouve ici l’humanisme, un humanisme à la fois totalement en prise sur
le monde actuel et fidèle à la tradition. Que ces conceptions pédagogiques restent d’actualité était notre hypothèse de départ.
Et nous avons cherché à la valider en passant en revue les principaux chantiers ouverts
par Jean Zay : la classe de fin d’études primaires, la classe d’orientation, les activités
dirigées, l’éducation physique, l’enseignement du français et en croisant sur ces thèmes
les regards des historiens et ceux des mouvements pédagogiques confrontés aux réalités
d’aujourd’hui. L’exercice était inhabituel, mais il méritait d’être tenté : les historiens ne sont
point qualifiés pour dire l’actualité d’une pensée ou d’une politique. C’est aux militants
qui oeuvrent à définir des pédagogies efficaces de dire l’écho que conserve ou non
l’impulsion déjà lointaine du Front populaire. Antoine Prost
Historien
Président des Amis de Jean Zay
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Postface : L’actualité de la pensée
pédagogique de Jean Zay
« Dans le domaine proprement pédagogique l’organisation des “loisirs ou activités
dirigées” constitua la principale nouveauté. Le samedi après-midi fut réservé à une
classe dans laquelle il serait fait appel de cent manières à l’activité spontanée de l’élève.
Il s’agissait d’éveiller ses aptitudes ou ses dons, de favoriser ses goûts les plus sains,
de le préparer à la vie, bref de rendre l’enseignement plus vivant. » (p.283, Souvenirs
et solitude, ed. Belin, 2010).
Ce texte écrit par Jean Zay, le 13 mars 1942, dans la solitude de la prison, frappe par
sa modernité, son actualité. Il est nouveau dans les années 1936, voire révolutionnaire
de placer les loisirs dans le champ de la pédagogie, de situer les activités dirigées dans
les temps de loisir. Même si le terme de « péri-scolaire » n’y apparaît pas, la conception
de loisirs liés à l’école et à son organisation est, comme le souligne Jean Zay,
radicalement nouvelle en 1938.
Cette idée de la complémentarité des loisirs et de l’école, effacée pendant la Seconde
Guerre mondiale, est réapparue fortement dans les années 1945-1950, avec
les « classes nouvelles » voulues par Gustave Monod et Louis Cros, puis avec
les expériences de « tiers-temps pédagogique », enfin dans la création, dans les années
1975, des Centres de loisirs associés à l’école (CLAE) pour les « écoles ouvertes » créées
dans une centaine de villes nouvelles. Les idées pédagogiques de Jean Zay ont donc
cheminé par « à-coups », sans d’ailleurs que ce grand ministre ait été cité, ce qui advient
souvent des conceptions novatrices de l’éducation et de l’école.
Cette idée nouvelle est-elle d’actualité en 2013 ?
La refondation de l’école de la République voulue par Vincent Peillon dès 2012
comporte, sous le terme par trop englobant de « réforme des rythmes scolaires »
la volonté de redonner sens aux activités de loisirs conçues comme complément
nécessaire aux apprentissages fondamentaux mis en place par l’école élémentaire,
elle-même redevenue première priorité.
Même si les communes peinent à reconnaître la valeur éducative des activités de loisirs
ou du moins hésitent à les organiser pour que tous les élèves puissent en bénéficier,
personne ne conteste que les loisirs consacrés aux activités sportives, aux activités
culturelles (le chant, la musique, la danse, l’art dramatique, les arts plastiques,
les activités manuelles) soient nécessaires à l’épanouissement des enfants et à leur éducation.
Pour revenir à l’actualité de la pensée pédagogique de Jean Zay, il faut considérer
l’ensemble des communications de cette journée d’étude : les dialogues entre historiens et
responsables de mouvements pédagogiques ont démontré à l’envi combien, sous plusieurs
aspects, cette pensée était actuelle et moderne.
« Avec les activités dirigées, nous sommes vraiment chez nous ! » s’est écriée Myriam Fritz-
Legendre, représentant les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (mieux
connus sous le sigle Ceméa). Et Catherine Chabrun, responsable de l’Icem-pédagogie
Freinet, a émaillé son propos de textes de Freinet encourageant la « réforme » engagée par
Jean Zay.
La naissance des Ceméa, au reste, est marquée par un geste important : le ministre décide
avec sa collaboratrice Cécile Brunschwicg d’inviter les instituteurs à s’entraîner à la
pratique des méthodes actives en s’inscrivant et en participant à un stage où les pratiques
du chant collectif et des jeux sportifs ou encore des jeux dramatiques alterneront avec
des propos sur les besoins et les intérêts des enfants, la valeur éducative de la vie
quotidienne, l’étude des milieux… Ce sera le stage de Beaurecueil. Le succès fut tel que
Gisèle de Failly, alors responsable de l’association « L’hygiène par l’exemple », décida, avec
l’aide d’André Lefèvre, responsable national des Éclaireurs de France de poursuivre cette
action en fondant une nouvelle association, les Ceméa, chargée par le ministère de
l’Éducation nationale de former les cadres des colonies de vacances et, ce faisant, d’étendre
la pratique des méthodes actives aux loisirs liés à l’école, dans l’école et autour d’elle.
Les Ceméa, n’oubliant pas leur propre genèse, ont donc décidé de publier les actes de la
journée d’études organisée par l’association des Amis de Jean Zay.
Cette conjonction devrait constituer un hommage à l’oeuvre pédagogique de cet immense
ministre qui mourut assassiné par la milice de Vichy en 1944. Cet hommage peut paraître
bien mince si on le compare à l’entrée au Panthéon de Jean Zay qui aura lieu en 2015. Mais
il vient d’historiens et de responsables de mouvements pédagogiques fidèles à la pensée de
Jean Zay qui ont voulu participer au travail si intéressant et si sérieux de cette journée
d’études. Que les uns et les autres en soient vivement remerciés.
Francine Best
Présidente d’honneur des Ceméa,
Vice-présidente des Amis de Jean Zay