Pour cela, il faut en permanence discerner en quoi le numérique est
un « plus » en termes éducatifs et peut donc accompagner une pratique
pédagogique… Et non l’inverse. Si les objets connectés, tels que sont
les tablettes ou les smartphones, peuvent apporter en effet une forme de
libération des pratiques, un supplément numérique, ils ne sauraient
définir intrinsèquement des pratiques inédites. Ainsi, ils permettent non
seulement une mobilité inédite, mais aussi à tout moment de disposer de
précisions, d’explications quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
Ils permettent
d’obtenir des éléments facilitant la compréhension d’un paysage
que l’on découvre ; dans une exposition de s’immerger littéralement dans
les oeuvres, d’accéder à des informations que les notices, les cartels ou
une visite guidée ne sauraient apporter en tant que telles. C’est un dévoilement
augmenté des oeuvres, un approfondissement quasiment infini à
partir des objets et oeuvres qu’on a sous les yeux.
Sauf que… Sauf que ce potentiel offert par le numérique n’a de sens que
s’il s’inscrit dans une démarche pédagogique raisonnée, assurée en termes
d’objectifs. Car le numérique porte en soi une appréhension « didactisée »
du monde, avec discours et démonstration permanents. Toute activité
devient utile, voire utilitariste. Or que reste-t-il d’une promenade en forêt
si on a le regard rivé sur un écran, si on ne fait pas appel à ses sens et aux
sensations apportées par cette immersion dans ce lieu ? Que reste-t-il du
plaisir de déambuler dans une exposition si on a des écrans qui font
obstacle au regard, sous prétexte d’augmentation et qu’on n’entre pas
dans une déambulation et la rêverie ! Cet envahissement et cet utilitarisme,
que l’on retrouve de plus en plus dans les activités proposées aux enfants,
sont à questionner et à limiter strictement au regard des objectifs visés.
Car à regarder de trop près les détails, on perd le fil. Cette perte du recul,
de la mise à distance, et de la critique nécessaire, est synonyme de perte
du sens et de la vision globale. Glisser d’une forme sensible (regarder, voir,
sentir pour ressentir) à une autre (surfer, zapper, requêter) et prendre
le temps de nouer des relations avec ce qui est vu et entre ceux qui voient
ensemble, est l’enjeu du travail d’éducation que l’on doit faire avec
les enfants. Activité formatrice qui allie la confrontation au sensible et
la rencontre réelle avec les univers virtuels numériques.
Extrait de l’article « En quoi le numérique est-il le nom en éducation ? »
paru dans le numéro 185 du 3e trimestre 2016, de la revue Diversité, éditée par Canopé et dont
la thématique est Ce que le numérique peut en éducation.