Notre mouvement d’éducation vient de rassembler plus de deux cent acteurs de l’éducation venus de vingt trois pays d’Europe, d’Afrique et de l’Océan indien sur le thème de l’interculturel, enjeu éducatif. L’organisation de telles rencontres est une belle école où l’évidence de nos compréhensions nationales se trouve interrogée par la tradition, le travail et la traduction de la langue et des cultures de l’autre.
Au-delà des mots, ce sont les idées et le sens qu’il faut construire ensemble là où l’autre se rappelle au différent. La diversité des langues nous oblige à prendre conscience de l’intentionnalité de nos paroles. Chaque fois que quelqu’un parle, il sait qu’il prend le risque de ne pas être compris. Il s’invite à une attention, à une lenteur, résistance à la facilité du haut débit auquel les langues maternelles et les nouvelles technologies nous poussent.
Organiser ces rencontres, c’est aussi réfléchir et agir pour développer une éducation à la mobilité, mobilité intellectuelle et mobilité physique. C’est rappeler que cette éducation à mobilité ne peut aller à l’encontre de l’objectif d’un développement durable de la planète et donc de l’humanité. Qu’elle ne peut exclure certaines populations, certaines catégories sociales, certaines générations ou promouvoir le déplacement subi de travailleurs. Cette capacité à se déplacer, à s’éloigner de là ou l’on naît, commence par la création progressive de la juste distance d’avec les parents, et avec son environnement proche : c’est ainsi que peut commencer l’éducation du citoyen de demain. En ce sens, dans le cadre des politiques éducatives pour l’enfance et la jeunesse, la possibilité de découvrir d’autres espaces que celui de son quartier, de sa ville est un droit à offrir à tous. Or, ce droit n’est pas un droit encore en France quand un enfant sur trois ne part pas en vacances. Je formule le vœu que le projet de loi sur l’engagement éducatif porté par monsieur le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative, aboutisse et permette d’offrir un nouvel essor pour l’activité éducative des centres de vacances et de loisirs et pour l’engagement volontaire des jeunes. Nos amis africains disent parfois qu’il n’est pas bon d’avoir les pieds en Afrique et la tête ailleurs. Ceux qui connaissent notre mouvement savent que si nous regardons parfois au loin et en ayant la tête dans les étoiles, nous maintenons notre vigilance sur ce qui se passe au plus près ou au plus bas. Nous le faisons toujours de notre place de mouvement.
Ainsi, nous n’acceptons pas le déficit d’ambition pour un service d’éducation de qualité. Nous n’acceptons pas un dialogue civil entre associations et pouvoirs publics qui ne respecterait pas le fait associatif dans sa contribution à une société démocratique, société de la connaissance. Ces refus ne peuvent pas être que les nôtres. Ils doivent retrouver des collectifs et des acteurs plus larges comme nous l’avons fait avec syndicats de l’enseignement et parents pour défendre notre conception de la complémentarité au service public. Ils ne sauraient brouiller le sens de notre action qui demeure une action éducative : ils en assurent les conditions de mise en œuvre. A l’heure où la procédure d’urgence pour aboutir, in fine, à une loi sur l’éducation, la résistance ne réside-t-elle pas encore dans l’éloge d’une certaine lenteur, si profondément liée à l’ambition d’une éducation et d’une formation tout au long de la vie ?
Jacques Demeulier, Directeur général des Ceméa