L’Académie des Sciences a rendu public, le 17 janvier dernier, son avis
sur "L’enfant et les écrans". Instructif ? Pas du tout, répondent Divina
Frau-Meigs, sociologue des médias, Sophie Jehel, maître de conférences,
Christine Menzaghi membre de La Ligue de l’enseignement et Christian
Gautellier, président de l’association Enjeux e-médias, directeur référent
du Pôle Médias des Ceméa, qui en contestent le contenu et la méthode
dans une tribune parue dans Le nouvel Observateur. En voici quelques
extraits. (L’intégralité de la tribune consultable sur le site des Ceméa->http://www.cemea.asso.fr/spip.php?article8358] « Cet avis aborde des questions de société et des questions
d’éducation complexes de façon réductrice et discutable. »
Voir le sommaire et commander la revue Vers l’Éducation Nouvelle n°550 - Apprentissages Scolaires
Une conception néolibérale et tronquée de l’éducation
« L’avis pose les bases d’une éducation aux médias d’un nouveau type :
l’éducation à "l’autorégulation" par l’information sur le fonctionnement
du cerveau. L’autorégulation est empruntée à l’idéologie néolibérale,
qui voit dans les interventions de l’État une source systématique de
déséquilibre du marché, et dans le recours à l’autorégulation une façon
de rendre inutile de telles interventions, renvoyant la responsabilité aux
utilisateurs et aux industries de contenus.
Appliqué aux enfants, dès "la grande section de maternelle", on voit que
l’avis propose à l’Éducation nationale de changer d’objectif : de la transmission
des connaissances, des compétences et des valeurs de la société
permettant de construire un citoyen responsable et actif, elle deviendrait
un moyen d’éviter l’intervention de l’État.
Est-ce pour effacer tout regard critique des individus vis-à-vis des opérateurs
économiques qui conçoivent les écrans, produisent les interfaces
et leur design, diffusent les contenus les plus regardés ? Est-ce un
hasard si, au détour d’une phrase, c’est " l’éducation à la conscience
numérique " et non l’éducation à la conscience de soi ou à celle de ses
droits et devoirs, qui est invoquée ? »
« A en croire l’Académie des Sciences, l’éducation aux écrans médiatiques
consiste en une familiarisation aux écrans dès le plus jeune âge. Cette
vision réductrice ne pourra expliquer aux enfants la responsabilité
sociale des médias en démocratie, le fonctionnement économique des
médias électroniques gratuits, le rôle que jouent l’audience et les
données personnelles… »
Un avis qui ignore les travaux
sur la régulation sociale autour des écrans
« Aucune recommandation ne réclame de politiques publiques pour
favoriser la sensibilisation des parents et des éducateurs vis-à-vis des
contenus à risque, pour introduire à l’école et dans tous les lieux
éducatifs une éducation à l’information, voire à l’informatique. »
« Au final, cet avis démobilise les instances qui devraient s’emparer
enfin de l’éducation aux médias. Il rend plus nécessaire que jamais une
réflexion des différents acteurs de l’éducation, de la famille, de la
société civile pour qu’une refondation de l’école à l’ère du numérique
se fasse bien sur le mode de l’humanisme et non du néo-libéralisme ».
Lire également l’article : "Divina Frau-meigs, Socialisation des jeunes et éducation aux médias"