article paru dans la Revue Vers l’Éducation Nouvelle n°552, Voir le sommaire et commander le numéro
Acte I : la concertation
Il était une fois un gouvernement nouvellement
élu, plein de « bonnes » intentions
en matière d’éducation. Afin de réussir au
mieux une réforme annoncée dans son
programme pour la grande élection, réforme
que l’on nomma Refondation de l’École,
son ministre de tutelle mit en place une
grande Concertation. Il y invita tous ceux
et celles qui avaient une implication, quelle
qu’en soit la raison, dans l’école : les représentant-
e-s des personnels de l’EN (vaste
palette de professionnel-le-s de tout poil :
enseignant-e-s des 1er et 2nd degrés, infirmièr-
e-s, CPE, chef-fe d’établissement, AS...),
représentant-e-s des parents d’élèves, des
elu-e-s, des associations complémentaires
de l’école publique et des mouvements
pédagogiques, dont les Ceméa, sans oublier
les élus lycéen-ne-s et étudiant-e-s...
Il y convia aussi les EXPERTS : des chercheurs
et chercheuses universitaires, en sciences
de l’éducation notamment mais pas que...
qui pouvaient éclairer les chandelles ; de
sages retraité-e-s dont les expériences pouvaient
alimenter la réflexion, des journalistes
spécialistes des questions d’éducation...
Il y ajouta enfin des représentant-es de son
ministère, personnes ressources ayant une
connaissance affinée des dossiers ainsi que
leurs collègues de 22 autres ministères...
La Concertation dura de juillet à fin septembre
2012 et s’organisa autour de quatre
grands groupes dont un, intitulé « Des personnels
formés et reconnus », concernait
entre autre la formation des personnels de
l’Éducation nationale. L’objectif de la
démarche était de rassembler le plus largement
possible les points de vue afin de
« définir les grands choix éducatifs nécessaires
à notre pays »1. Le 9 octobre 2012, ultime
étape de l’acte premier de la Refondation,
un rapport issu de tous ces temps d’échanges
donnait les orientations qui allaient inspirer
le projet de loi. Ce petit rappel de l’histoire
récente ne serait pas complet sans les précisions
qui suivent : des tentatives d’organisation
de temps de concertation ont été
réalisées en région mais le plus souvent
dans la précipitation, le désordre et sans
doute pour essayer de prévenir la grogne
de ceux et celles qui se sentaient floué-e-s
parce que pas, ou pas assez, associé-e-s à
ce moment « historique ». Nous voulons
parler en particulier des enseignant-e-s.
Certes, certain-e-s d’entre eux et elles
avaient été invité-e-s pour faire part de
leurs (sans doute bonnes) pratiques. Certes,
leurs représentant-e-s syndicaux étaient
présent-e-s. Mais l’immense majorité des
professeur-e-s des premier et second degrés,
tout comme l’ensemble des autres personnels,
n’a pas participé à ce premier « round ».
Acte II : le projet de loi
Parmi les « 25 mesures clés » du projet de
loi, la création des ESPE et la formation initiale
pour les enseignant-e-s et les personnels
d’éducation consiste à « mettre en place
une nouvelle formation initiale et continue
aux métiers du professorat et de l’éducation
et faire évoluer les pratiques pédagogiques » 2
Évidemment, nous ne pouvions que partager
l’idée d’un rétablissement de la formation
initiale des personnels l’Éducation nationale
disparue depuis 2010 ! Aurions-nous pu
envisager qu’un médecin ne soit pas formé,
qu’un pilote d’avion ne soit pas formé ?
Comment notre société avait-elle pu tolérer
que l’éducation tombe si bas, que l’on
méprise aussi ouvertement ses profs, en
particulier ? Les Ceméa ont participé autant
qu’ils ont pu avec d’autres, notamment au
sein du CAPE (collectif des associations
partenaires de l’école publique), à la mise
en place des ESPE. Mais avec une vision
particulière, plus ouverte et peu, voire pas,
partagée de ce E final d’ESPE : Éducation.
Qui sont les professionnel-le-s de l’ÉDUCATION ?
Les seuls enseignant-e-s et leurs collègues
CPE ? Nous ne pouvions nous résoudre à cette
réduction du terme ! La France cultive une
singularité qui nous questionne : la segmentation
des métiers de l’éducation, de l’animation
et de l’action sociale. Les Ceméa, dont le coeur
des actions et réflexions tourne autour de la
formation, ont une expérience massive et
ancienne non seulement dans la formation
mais aussi dans l’accompagnement des enseignant-
e-s, des éducateurs et éducatrices, des
animateurs et animatrices, des intervenants et
intervenantes éducatifs et même des parents.
De ce fait, nous voyons les indispensables
passerelles à construire pour répondre aux
enjeux d’avenir et donner une vraie cohérence
aux politiques publiques d’éducation. C’est
pourquoi, le rattachement des ESPE aux universités,
sans réelle autonomie, nous a semblé
une aberration en soi. Sans parler des zizanies
que ce choix a pu déclencher ici ou là, entre
universités d’une même ville ! Les luttes d’influences
et les rapports de force ont parfois
aggravé ou ravivé des tensions latentes. Les
ex-IUFM (instituts universitaires de formation
des maîtres) ont joué des coudes pour ne pas
tout perdre dans la manoeuvre. Bref, les
énergies ont été plus brûlées à la défense des
territoires, des intérêts des structures et de
leurs budgets qu’à la réflexion sur la mise en
place d’une formation nouvelle, de qualité,
ambitieuse, ou tout simplement cohérente !
C’est dans ce contexte que les pré-projets ont
été construits, négociés, avalisés pour certains,
revus pour d’autres. Tout cela avec le temps
qui pressait, on était déjà fin juin et des
projets n’étaient toujours pas acceptés alors
que la rentrée approchait à grand pas !
Mais parlons pédagogie, concours…
Avec d’autres (nos partenaires du CAPE notamment),
nous avions argumenté pour un
concours en fin de troisième année de Licence
ce qui permettait de faire des deux années de
Master, un véritable temps de formation professionnelle
avec alternance temps de formation-
temps de pratique qui aurait permis de
diversifier les terrains de stages, considérés
comme une première expérience professionnelle,
de mener une analyse approfondie des
différentes situations rencontrées et de
travailler les articulations fondamentales entre
apprentissages didactiques et pédagogiques.
De même, ce choix rendait possible une augmentation
progressive de la prise en responsabilité
d’une classe. Mais face aux défenseurs
du concours en fin de Master 2 (une catastrophe
pour ceux et celles qui croient encore
en la possibilité d’ouvrir ces concours aux
étudiant-e-s issu-e-s de classes socio-professionnelles
les plus défavorisées), le gouvernement
a choisi de le placer en Master 1.
Et l’année suivante (l’année de Master 2), les
étudiante-s ayant réussi le concours devront
obtenir leur master, préparer et soutenir un
mémoire de recherche tout en étant à mitemps
devant les élèves. Des conditions pires
qu’avant 2010 pour entrer dans le métier.
Finalement, qu’est-ce qui a changé par rapport
à la formation en IUFM ? Moins de temps de
formation, plus de pouvoir aux universités et
de ce fait, nous le craignons, la prépondérance
accordée aux contenus purement disciplinaires.
De plus, le modèle universitaire, peu enclin à
travailler avec l’éducation populaire, a pu
conduire par le passé à une certaine uniformité
paralysante des pratiques. Alors même que
la formation aux méthodes nous semble
déterminantes : apprendre à travailler en
équipe, à coopérer, à réaliser des évaluations
autocritiques, à concevoir et conduire des
projets…tout en portant les valeurs de la
République. Des principes inscrits dans le rapport
de la concertation mais hélas qui semblent
être restés à l’état de voeux pieux...
Acte III : Essuyer les plâtres.
Nous voici arrivés en septembre 2013. Les
ESPE ont accueilli leurs stagiaires dans des
conditions limites car la mise en place s’est
faite dans l’urgence et l’improvisation. Même
le ministre l’a reconnu lorsque, à Toulouse, il
s’est adressé à eux en leur disant qu’ils
allaient « essuyer les plâtres ». Pour encourager
des jeunes, on ne trouve pas meilleure formule.
Mais ne soyons pas mauvaise langue.
Et la place des Ceméa dans tout cela ?
Après avoir tenté d’influencer sur certaines
positions, le CAPE a quand même obtenu
d’être cité dans la loi, en tant que « professionnel-
le-s de terrain » puisqu’ il y est écrit :
« les ESPE seront animées à la fois par des
personnels spécialisés dans la formation, des
universitaires et des personnels de l’Éducation
nationale, et leurs équipes pédagogiques
accueilleront un grand nombre de professionnels
de terrain : personnels enseignants,
d’inspection et de direction en exercice dans
le 1er et 2nd degré, intervenants issus de l’éducation
populaire, de l’éducation culturelle et
artistique, de l’éducation à la citoyenneté.
L’expertise de ces professionnels sera un
apport essentiel au projet pédagogique que
développeront les ESPE. »(cf education.gouv.fr/projet de loi
pour la refondation). Il ne nous reste plus qu’à multiplier les démarches, les rendez-
vous dans nos régions pour obtenir la place qui nous revient parce que nous souhaitons que les ESPE réussissent ce que les IUFM n’avaient pas mis en place, notamment former pédagogiquement aussi bien des personnels
du 1er que du 2nd degré. Reprenons des forces pour conquérir quelques espaces et transmettre certains de nos principes éducatifs.
Concernant les métiers de l’éducation :
Une culture commune entre les différentes
professions de l’éducation.
Mise en oeuvre de projets ou recherches
actions pluricatégoriels au cours de la formation.
L’élargissement de leur périmètre de formation
(animation, travail social, santé) en lien avec
les métiers du champ de l’animation et du
travail social en partenariat avec les mouvements
partenaires de l’école publique pour
plus de complémentarité et de cohérence.
La proposition de terrains de stages diversifiés
en centres sociaux, centres de loisirs, structures
médicosociales, services éducatifs…
Des temps de formation initiale et continue
conçus avec des associations complémentaires
de l’école, des parents, des élu-e-s et des
actrices et acteurs territoriaux, à partir de
thématiques éducatives communes.
Concernant le terme même d’éducation.
La formation doit prendre en compte l’enfant
et le jeune dans leur globalité en ouvrant aux
milieux dans lesquels ils évoluent. Des stages,
tant en formation initiale que continue,
doivent être proposés hors du champ scolaire ;
centres sociaux, centres de loisirs, structures
médicosociales, services éducatifs, services
sociaux traitant des problématiques de l’enfant
et de sa famille, en France et hors de France.
Concernant la pédagogie, les apports et pratiques
des mouvements pédagogiques, notamment
d’Éducation nouvelle, l’accompagnement
éducatif et les activités pédagogiques complémentaires,
l’aménagement des espaces
comme tiers pédagogique, l’innovation
(concepts et pratiques) sont autant de dimensions
qui doivent être au coeur de la formation
fondée sur les méthodes actives(Ces différents
points
correspondent
aux amendements
portés
par les Ceméa
lors de
la séquence
sénatoriale). Aujourd’hui
tout reste à faire. Gageons que « le bébé »
aura besoin des conseils avisés de tous et
toutes pour grandir même si, après sa naissance
difficile, ses parents n’en sont pas encore
convaincus, ni conscients... Rappelons-nous
d’un temps que les moins de quarante ans ne
peuvent pas connaître, celui où tous les
maîtres et maîtresses devaient suivre une
session de formation Bafa ! Dans son dernier
livre, Gaby Cohn-Bendit (Gabriel
Cohn-Bendit,
Pour une
autre école.
Repenser
l’éducation,
vite !
éditions
Autrement,
août 2013.), reprend cette idée
et l’élargit à tous les personnels de l’EN ! Les
Ceméa ne demanderaient pas mieux.
Lire également le Dossier spécial de Vers l’Éducation Nouvelle sur Calaméo